Ce module est une ressource pour les enseignants
Thème 4 : Alternatives après le procès
Au cœur de la plupart des systèmes pénaux se trouve le système de détermination de la peine, à savoir un système d’imposition de sanctions correspondant aux différentes justifications de la peine susmentionnées. Cette partie du module examine l'éventail des sanctions et peines non privatives de liberté qui peuvent être imposées au stade de la détermination de la peine - parfois appelées « mesures de porte d’entrée ».
Alternatives à l'emprisonnement lors du prononcé de la peine
La Règle 8.2 des Règles de Tokyo (1990) propose un large éventail de sanctions autres que l'emprisonnement qui peuvent être imposées par les autorités judiciaires au moment de la détermination de la peine. Ceux-ci sont :
- des sanctions orales, comme l’admonestation, la réprimande et l’avertissement ;
- la libération conditionnelle en vertu de laquelle une personne est libérée mais sa liberté organisée de sorte que de nouvelles infractions soient évitées ;
- les peines privatives de droits qui privent un individu de droits spécifiés dans la communauté ;
- les peines économiques et pécuniaires telles que des amendes ;
- la confiscation ou l’expropriation aux termes de laquelle les autorités peuvent confisquer le produit du crime ou exproprier des biens ou des propriétés appartenant à l'auteur de l'infraction ;
- la restitution à la victime ou l’indemnisation de celle-ci, telle que la restitution d'un bien ou le paiement à la victime du préjudice ou de la perte subis, ou le versement d’une indemnisation à un fonds d'indemnisation des victimes géré par l'État ;
- la condamnation avec sursis ou suspension de peine si une peine d’emprisonnement est prononcée mais que son exécution est suspendue dans l’attente du respect des conditions fixées par le tribunal ;
- la probation et la surveillance judiciaire pour informer le tribunal, surveiller et superviser le comportement du délinquant dans la société, tout en l’aidant à résoudre les problèmes auxquels il peut être confronté ;
- des peines d’intérêt général imposant aux délinquants libérés d'effectuer un travail non rémunéré pendant un nombre d'heures déterminé ou d'effectuer des tâches spécifiques pour la communauté ;
- l’assignation dans un établissement ouvert offrant, par exemple, des programmes de traitement ou des interventions thérapeutiques pour lutter contre les comportements délictueux ;
- l’assignation à résidence en vertu de laquelle le délinquant se voit ordonner de ne pas quitter son domicile ;
- toute autre forme de traitement en milieu libre permettant de développer de nouvelles formes de traitement non privatif de liberté ;
- une combinaison des mesures énumérées ci-dessus pour garantir que le tribunal ne se limite pas à une seule disposition (voir aussi ONUDC, 2008b).
Au Sénégal, dans le cadre de l’adoption de la loi n°2016-29 du 8 novembre 2016, le législateur expliquait en préambule que pour « pour rendre plus effectives certaines mesures alternatives à l’incarcération et réduire ainsi la surpopulation carcérale, il est opportun de donner la possibilité au juge de substituer aux courtes peines d’emprisonnement, le travail au bénéfice de la société » (loi n°2016-29 du 08 novembre 2016 modifiant la loi n° 65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal) (République du Sénégal, 2016).
Le Mali en a fait de même en prévoyant que « la peine de travail d’intérêt général est une peine alternative à l’emprisonnement. Elle consiste à faire exécuter par le condamné qui y consent un travail non rémunéré au profit d’une collectivité publique, d’un service public ou d’une association reconnue d’utilité publique. Elle est prononcée à titre de peine principale et ne peut être cumulée avec une peine d’emprisonnement. Elle n’est applicable qu’aux délits pour lesquels le maximum de la peine encourue n’excède pas deux ans. » (Code pénal du Mali, loi n°01-79 du 20 août 2001, modifiée par la loi n°2005-45 du 18 août 2005 et par la loi n°2016-39 du 7 juillet 2016, art.14.).
Les normes internationales indiquent clairement que les autorités chargées de la détermination de la peine peuvent imposer des mesures de substitution d'une manière qui réponde aux différents objectifs et justifications de la peine, conformément aux garanties juridiques et à l’Etat de droit. Les Règles de Tokyo stipulent que « l’adoption, la définition et l’application de mesures non privatives de liberté doivent être prescrites par la loi » (Règle 3.1), et que le choix des sanctions non privatives de liberté doit être « fondé sur des critères établis touchant tant la nature et la gravité du délit que la personnalité et les antécédents du délinquant, l’objet de la condamnation et les droits des victimes » (Règle 3.2). En outre, le développement de mesures non privatives de liberté doit toujours respecter et maintenir les droits et libertés fondamentaux des délinquants, exigence soulignée par la Règle 3.9, qui prévoit que « la dignité du délinquant soumis à des mesures non privatives de liberté est protégée à tout moment ». Le Commentaire des Règles de Tokyo (1993, p. 13) déclare que les Règles 3.9-3.12 exigent que des sanctions alternatives ne soient pas imposées « d'une manière qui harcèlerait les contrevenants, porterait atteinte à leur dignité ou empiéterait sur leur vie privée ou celle de leurs familles ».
Pour que les mesures non privatives de liberté soient mises en œuvre en tant que « solutions alternatives réalistes à l'emprisonnement », elles doivent être soutenues par les principaux acteurs et organismes du système de justice pénale, ainsi que par le public en général (ONUDC, 2008b, p. 28 ; voir aussi Conseil de l'Europe, 1999). Au minimum, les agences clés incluent :
- les juges et les tribunaux pour imposer des alternatives à l'emprisonnement chaque fois que c’est possible ;
- les législateurs pour créer un cadre juridique prévoyant la mise en œuvre et le suivi des sanctions alternatives ;
- les administrateurs pour créer des alternatives appropriées ;
- des agents de probation chargés de superviser et de surveiller les délinquants dans la communauté ;
- les leadeurs communautaires pour encourager le public à s'impliquer dans l’exécution des peines dans la communauté ; et,
- des bénévoles pour aider à l’exécution des peines dans la communauté (ONUDC, 2008b, p.48).
Il ressort de plusieurs recherches que de nombreux pays ont mis en place différentes peines exécutées dans la communauté au cours des dernières décennies afin de lutter contre le recours excessif à l'emprisonnement (voir, par exemple, Wade et al., 2008). Dans certains pays, la surveillance électronique a été utilisée pour suivre les délinquants purgeant une peine dans la collectivité. Cependant, cela peut ne pas être une option dans les pays à faibles ressources, car la technologie peut être coûteuse et le support technique ainsi que les infrastructures pour la mettre en œuvre peuvent ne pas être suffisantes. La communauté internationale a toutefois exprimé une préoccupation plus fondamentale en matière de droits de l’homme : « L’utilisation des bracelets électroniques renforce davantage et parfois de manière injustifiée la surveillance et les restrictions imposées aux délinquants, ce qui viole ainsi de manière excessive leur dignité humaine et leur vie privée » (ONUDC, 2016a, p.116). Les normes internationales ont souligné que le droit à la vie privée du délinquant et de sa famille revêt une « importance particulière » et que « la plus grande vigilance est requise pour éviter toute intrusion injustifiée » (Nations Unies, 1993, p. 14). Ces considérations doivent être soigneusement examinées avant d'introduire l'utilisation de la surveillance électronique (ONUDC, 2016a ; voir également Dünkel et al, 2017).
Cependant, les pratiques plus traditionnelles peuvent également servir de modèle pour des peines alternatives. Le recours à des approches de justice réparatrice, par exemple, a augmenté ces dernières années, au cours desquelles la victime, le délinquant et d'autres personnes ou membres de la communauté touchés par une infraction se réunissent pour réfléchir sur la réparation du dommage causé par l’infraction et établir une stratégie d’aide ou d’indemnisation des victimes. Dans certains pays, les principes de la justice réparatrice ont été utilisés comme paradigme dominant pour résoudre les problèmes de justice transitionnelle et de réconciliation. En Colombie, par exemple, un modèle de justice réparatrice a été proposé comme « le meilleur moyen de faire face aux atrocités commises par des groupes paramilitaires » (Uprimny et Saffon, 2005, p. 1). De même, les perspectives postcoloniales ou autochtones qui exigent indemnisation, réparation et compensation pour les injustices historiques remettent considérablement en question les faiblesses et les préjugés des systèmes de justice pénale traditionnels et enrichissent le débat sur les sanctions alternatives à l'emprisonnement (voir, par exemple, Villa-Vicencio, 2000 ; Boraine, 2002 ; Cunneen, 2011 ; Cunneen et Taur, 2018).
Plutôt que de se concentrer sur le débat entre la rétribution et la réadaptation, de nombreux pays ont adopté des approches réparatrices comme troisième alternative valable (voir Zehr, 1990 ; Hughes et Mossman, 2002). Une enquête réalisée par l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime en 2017, à laquelle 31 États membres ont répondu, a révélé que les programmes de justice réparatrice constituaient une « une alternative efficace et souple aux procédures pénales formelles » et « pouvaient contribuer à alléger la charge pesant sur le système de justice pénale et à réduire le taux de récidive » (UNODC, 2017, p.43). Elle a toutefois conclu que la justice réparatrice était encore « sous-utilisée ou mal connue dans de nombreuses régions du monde » (Ibid., p. 44). Pour de plus amples informations sur la justice réparatrice, voir le Module 8 de la série de modules universitaires E4J sur la prévention de la criminalité et la justice pénale.
Alternatives à l'emprisonnement après le prononcé de la peine
Au cours des dernières décennies, de nombreux pays ont également mis au point des mesures non privatives de liberté après l’application de la peine (parfois appelées mesures « de porte de sortie » ou « de porte dérobée »), bien qu’elles ne soient pas toujours considérées comme des mesures de substitution à l’emprisonnement. Contrairement aux stratégies dites de « porte d'entrée », les mesures « de porte de sortie » visent à réduire la surpopulation carcérale en libérant les prisonniers en libération conditionnelle avant la fin de leur peine (voir par exemple Pitts, 2014 ; Bernardi, 2016).
Il est important de noter que le recours à la libération conditionnelle précoce a été promu comme un moyen efficace de prévenir la récidive et de favoriser la réinsertion sociale, à condition que la libération s'accompagne d'un soutien, d'une assistance et d'une supervision adéquats. La Règle 9.1 des Règles de Tokyo prévoit qu’une vaste gamme de mesures de substitution concernant l’application des peines doit être mise à la disposition « en vue d’éviter l’incarcération et d’aider le délinquant à se réinsérer rapidement dans la société ». Les Règles de Tokyo préconisent également la libération des délinquants d'une institution pénitentiaire vers un programme non privatif de liberté le plus tôt possible et recommande les mesures suivantes après le prononcé de la peine :
- Permission de sortir et placement en foyer de réinsertion - pour permettre de courtes périodes de sortie de prison ou pour que les détenus vivent dans des foyers de réinsertion avant leur libération dans la communauté.
- Libération pour travail ou études - pour permettre la libération temporaire de la prison pour effectuer un travail ou pour suivre des cours.
- Libération conditionnelle selon diverses formules - pour faciliter la libération anticipée dans des conditions qui restent en vigueur jusqu'à la fin de la peine.
- Remise de peine - forme de libération inconditionnelle après que le détenu a purgé une peine déterminée, parfois conditionnée par un bon comportement en prison.
- Grâce - l'annulation de la condamnation ou de la peine, généralement effectuée par le chef de l'État (règle 9.2 des Règles de Tokyo ; voir également ONUDC, 2008a, p. 49-52).
Les principaux organismes et acteurs nécessaires à la mise en œuvre de ces dispositions sont similaires à ceux requis pour la mise en œuvre des mesures « de porte d’entrée », à savoir les juges et les tribunaux, les législateurs, les administrateurs et les agents de probation. Les agents de police sont également nécessaires pour soutenir et surveiller les délinquants qui ont été libérés sous condition, ainsi que les chefs d’État pour user de leur pouvoir de grâce ou d’amnistie (Nations Unies, 1990).
La Commission Africaine des Droits de l’Homme encourage quant à elle :
- « Les programmes de réinsertion et de développement personnel pendant la période de l'emprisonnement ou d'accomplissement de la peine alternative » ;
- Le développement de « centres semi-ouverts et [des] programmes de libération anticipée en partenariat avec la société civile. » (Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples, 2002, p. 5).
Bien que les approches dites « de porte de derrière » présentent des avantages évidents (tels que la réduction de la surpopulation carcérale et des longues peines de prison, ainsi que la réduction des coûts), elles génèrent également certaines préoccupations. Une libération anticipée peut saper l'autorité du tribunal qui prononce la peine, et donc la confiance du public dans le processus de justice pénale. Elle peut aussi réduire la protection du public offerte par l'emprisonnement. Des décisions discrétionnaires ou arbitraires peuvent conduire à un abus de pouvoir et à un sentiment d'injustice et de mécontentement. De plus, les conditions imposées peuvent constituer une peine supplémentaire pour le détenu condamné (ONUDC, 2008a). En effet, il a été reconnu que des mesures privatives de liberté, telles que l'emprisonnement, peuvent restreindre et enfreindre les droits et libertés de la personne (voir Morgenstern et Larrauri, 2013). D’un autre côté, des experts ont fait valoir que la libération anticipée permettait de remédier aux graves lacunes du système de justice pénale, en particulier la crise du nombre de prisonniers. De plus, il a été démontré que la libération conditionnelle réduisait les taux de récidive pour ceux qui en bénéficiaient et permettait aux détenus d'être libérés à un moment où leur risque pour le public avait suffisamment diminué (Cavadino et Dignan, 2007).
Le Commentaire des Règles de Tokyo (1993) souligne l'importance pour les autorités judiciaires de suivre des procédures formelles de prise de décision pour revoir les décisions de condamnation antérieures et prendre des décisions concernant la libération anticipée. En outre, des critères clairs devraient être établis et expliqués à la fois aux détenus et au personnel pénitentiaire. En établissant de tels critères, « les abus du pouvoir discrétionnaire peuvent être réduits au minimum et les détenus peuvent travailler à leur libération en sachant quels critères ils devront satisfaire » (United Nations, 1993, p. 21). Dans le même temps, « les mesures de libération anticipée seront plus faciles à expliquer au grand public, qui peut se méfier de telles mesures » (United Nations, 1993, p. 21).
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