Yury Fedotov

Director-General/Executive Director

Le trafic transatlantique de cocaïne

Réunion ministérielle du G-8

Paris, le 10 mai 2011


Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs,

Je tiens avant tout à remercier la présidence française du G-8 et, en particulier, M. Claude Guéant, Ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer, des Collectivités locales et de l'Immigration pour cette initiative clef, visant au renforcement de la lutte contre le trafic transatlantique de drogues, et l'organisation de cette réunion ministérielle nous permettant d'en débattre aujourd'hui.

Avec votre permission je souhaiterais commencer par quelques faits.

La dernière décennie a vu des changements majeurs sur le marché international de la cocaïne.

Alors que le marché nord-américain était quatre fois plus élevé que le marché européen il y 10 ans, nous observons aujourd'hui un rééquilibrage complet. Ainsi, la valeur du marché de la cocaïne en Europe est estimée à 33 milliards de Dollars, soit presque l'équivalent de celle du marché américain qui est d'environ 37 milliards.

La diversification des débouchés de la cocaïne en Europe nous amène aujourd'hui à considérer ce problème de la même façon que celui de l'héroïne afghane ; comme une menace globale à la stabilité et la prospérité.

Les profits illicites en jeu sont énormes. L'ONUDC estime qu'en 2009 le trafic mondial de cocaïne a généré environ 84 milliards de Dollars, soit l'équivalent du produit intérieur brut de nombreux pays en voie de développement.

Dans le même temps, les trafiquants ont modifié leurs routes d'acheminement, utilisant notamment l'Afrique de l'Ouest comme nouvelle plateforme de transit vers le marché européen.

Les conséquences du trafic de cocaïne sur la stabilité des pays d'origine et de transit sont malheureusement bien connues. De manière générale, il affecte la gouvernance, en favorisant la corruption, la violence armée, l'afflux de capitaux illicites qui contaminent l'économie licite, et la mise en place de gangs urbains ou de réseaux criminels locaux agissant en sous-traitants des cartels de la drogue.

En Afrique de l'Ouest, une partie des paiements réalisée entre les trafiquants est effectuée fréquemment en produits stupéfiants.

Par conséquent, un pourcentage important de cette cocaïne, laissée entre les mains d'organisations illicites dans la région, est en partie réexportée vers l'Europe, mais elle alimente aussi le développement de marchés de consommation locale.

L'Afrique qui n'a jamais été jusqu'à présent une région de grande consommation de cocaïne, risque de le devenir à plus ou moyen terme.

En Amérique centrale, le trafic de cocaïne génère une violence sans précédent.

Les taux d'homicides dans les pays du triangle nord : le Salvador, le Guatemala et le Honduras sont  parmi les plus élevés au monde.

Là encore, les efforts conjugués des Etats et de la communauté internationale n'ont pas permis d'endiguer ce fléau qui gangrène la région.

La réponse à cette situation critique passe avant tout par un Pacte politique renouvelé entre les Etats des deux rives de l'Atlantique en se fondant sur le principe de la responsabilité partagée. Il y a sur cette question un consensus de plus en plus large.  Et on ne peut qu'en se féliciter.

J'en veux pour preuve l'examen régulier des questions liées à la criminalité organisée et au trafic de stupéfiants par le Conseil de Sécurité de l'ONU, ou les discussions récentes entreprises dans le cadre du Comité politique au niveau du  Secrétaire général des Nations Unies sur la nécessité d'intégrer la lutte contre le crime transnational dans l'effort de l'ensemble des agences onusiennes en faveur du développement.

Nous n'atteindrons pas les Objectifs de développement du Millénaire, si nous n'agissons pas aussi contre la criminalité transnationale organisée, la corruption et leurs effets dévastateurs.

Les outils pour la mise en pratique de cet engagement politique existent.

Il s'agit notamment des conventions des Nations-Unies contre les drogues de 1961, de 1971 et de 1988.

Il s'agit également des conventions contre la Criminalité organisée transnationale et la Corruption. Ces conventions offrent un cadre approprié pour la coopération internationale contre le trafic de drogues, la criminalité organisée et leurs délits connexes, tels que le blanchiment d'argent.

Sur cette base, quelles doivent être nos priorités pour l'avenir ? La lutte contre le trafic transatlantique de drogues est une responsabilité conjointe, et tous les Etats doivent unir leurs efforts pour donner vie à cet engagement politique.

Il est nécessaire pour les Etats d'Amérique du Nord et d'Europe de poursuivre la mise en œuvre combinée de politiques de réduction de la demande de cocaïne, d'interception des mouvements illicites de drogues et de confiscation des avoirs criminels correspondants.

En termes de marchés, il est nécessaire d'effectuer un suivi des tendances de consommation dans les pays d'origine et de transit afin d'anticiper et de contenir de nouveaux débouchés pour la cocaïne, tels que l'Amérique du Sud.

En termes de production, on ne peut que saluer les efforts réalisés par les autorités colombiennes pour diminuer les cultures illicites de coca au travers  du développement alternatif et démanteler les groupes liés à la criminalité organisée.

Il convient également de souligner et d'appuyer les efforts similaires effectués par les autorités péruviennes et boliviennes. L'ONUDC soutient ces politiques dans le cadre de ses programmes dans la région. Je tiens à saluer aujourd'hui la mémoire de 4 membres du personnel de l'ONUDC et de deux pilotes boliviens qui ont perdu la vie la semaine dernière lors d'un vol de routine dans le cadre de notre programme de suivi des cultures de coca en Bolivie. Je souhaite exprimer à nouveau mes condoléances aux familles.

Avec le soutien de la communauté internationale, les pays d'Afrique de l'Ouest ont commencé à contenir les assauts des trafiquants de drogues.

Au cours des deux dernières années la courbe des saisies de cocaïne est descendante.

Il pourrait s'agir d'une bonne nouvelle pour cette région si les techniques et les méthodes des trafiquants n'étaient en constante évolution et ne devenaient pas de plus en plus perfectionnées. Il est important de continuer à renforcer, avec l'appui de la communauté internationale, la capacité d'anticipation et de réaction des Etats d'Afrique de l'Ouest.

Ces dernières années ont vu un déclin dans l'utilisation de la route Caraïbe vers le marché nord américain. Ces signes sont encourageants mais je vous exhorte à ne pas baisser votre garde et à continuer d'appuyer les efforts régionaux entrepris par les Etats d'Amérique centrale pour lutter contre le trafic transnational de drogues et ses puissants effets déstabilisateurs.

Le marché transnational de la cocaïne demeure un marché extrêmement dynamique. Il est indispensable de maintenir un suivi détaillé des tendances et d'assurer une analyse régulière des risques de façon à assurer la conception et la mise en œuvre, le plus en amont possible, de politiques efficaces de prévention et d'interdiction.

Au vu des priorités que je viens d'évoquer, je ne peux que saluer l'adoption d'une déclaration politique et d'un plan d'action qui établissent des principes directeurs et proposent des éléments opérationnels pour améliorer la lutte contre le trafic transatlantique de drogues.

Ce plan d'action aborde des éléments d'importance comme le partage du renseignement, l'intensification des interceptions maritimes ou le recouvrement des avoirs illicites.

Il promeut également une approche globale, concertée et cohérente contre le trafic de drogues.

Une approche globale, car le plan vise au renforcement de l'ensemble des acteurs de la chaîne judiciaire : de l'investigation proactive à la condamnation des trafiquants.

Une approche g lobale, car il reconnait la nécessité d'actions de prévention de la consommation et d'appui aux politiques de développement alternatif, sans oublier les nécessaires politiques de réinsertion des anciens criminels.

Lutter contre cette hydre du 21 ème siècle requiert des ressources importantes et, en ces temps de crise économique, celles-ci ne sont pas illimitées.

Pour faire face à l'ampleur du phénomène de la criminalité organisée, nous devons faire preuve d'un esprit d'innovation.

Dans ce cadre, l'idée de la création d'un Fonds fiduciaire pour la lutte contre le trafic transatlantique de drogues, alimenté en partie par un pourcentage des avoirs saisis, apparait séduisante sous bien des aspects.

D'une part, l'établissement d'un tel Fonds témoignerait de la volonté conjointe des Etats de lutter contre le trafic de drogues dans une même direction en mettant en commun leurs ressources financières.

D'autre part, la portée symbolique serait forte, ce Fonds permettrait de frapper les trafiquants en utilisant leurs propres biens et ressources confisqués.

Je sais que certains pays ne sont pas encore en faveur d'une telle option. Je souhaite néanmoins que nous puissions collectivement y réfléchir de façon à pouvoir mettre en adéquation les moyens des services chargés d'améliorer la lutte contre les groupes criminels transnationaux avec ceux dont disposent ces derniers.

Quelques mots sur l'effort mené par l'ONUDC.

Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour réitérer l'engagement de l'organisation que j'ai l'honneur de diriger et offrir notre assistance la plus totale dans la mise en œuvre de ce plan d'action.

L'ONUDC maintiendra son effort d'analyse par la réalisation d'études régionales des tendances de la criminalité organisée, comme il l'a fait par le passé particulièrement en Amérique Centrale, dans les Caraïbes ou en Afrique de l'Ouest.

L'ONUDC continuera à intervenir aux côtés des pays producteurs dans le développement de politiques ambitieuses de développement alternatif et de renforcement des capacités des organes en charge de la mise en œuvre des lois.

L'ONUDC poursuivra également ses efforts en Amérique Latine par le biais d'initiatives politiques et de coordination de la lutte contre la criminalité organisée telles que le Pacte de Saint Domingue, le Mécanisme SICA-ONUDC ou la mise en place du programme hémisphérique de lutte contre le détournement des précurseurs chimiques utilisés dans la production de cocaïne.

En Afrique de l'Ouest, l'ONUDC met en œuvre un programme régional basé sur la déclaration politique et le plan d'action de la CEDEAO adoptés par les chefs d'Etats et de gouvernement à Abuja en décembre 2008.

Dans ce cadre, l'initiative de la Côte d'Afrique de l'Ouest couvrant la Côte d'Ivoire, la Guinée Bissau, le Libéria et le Sierra Leone permet actuellement la création d'unités spécialisées de lutte contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée.

L'initiative AIRCOP vise, quant à elle, à l'établissement d'un système de communication en temps réel entre des aéroports se trouvant sur les routes du trafic de drogues, que ce soit en Amérique Latine, en Afrique et en Europe.

Enfin, et dans le cadre d'une réponse  globale, l'ONUDC continuera d'offrir ses programmes de réduction de la demande de drogues et de traitement pour personnes dépendantes.

Pouvons-nous faire plus contre le trafic de cocaïne ? La réponse est sans nul doute affirmative et, j'ai bon espoir que ce plan d'action y contribuera de façon décisive.

Je vous remercie de votre attention.